Mélissa Sira Traoré : tisser la mémoire, exposer l’invisible

Artiste franco-camerounaise-malienne, Mélissa Sira Traoré explore les liens profonds entre mémoire, artisanat et engagement à travers une pratique mêlant installations visuelles, sonores, sculptures et vidéos. Son travail puise dans les héritages culturels souvent menacés par l’oubli ou l’industrialisation, en mettant en lumière des savoir-faire artisanaux, des gestes transmis et des récits tus.
Avant toute création, l’artiste entreprend un long travail de recherche : lectures, photographie, enquêtes de terrain, échanges avec les communautés concernées, voire collaborations avec des scientifiques. Cette démarche, qui conjugue rigueur documentaire et sensibilité artistique, donne naissance à des œuvres immersives où se rencontrent espace, matériau et mémoire.
Son art, profondément ancré dans les pratiques artisanales, rend hommage à celles et ceux qui perpétuent ces gestes. Il interroge nos manières de voir, de comprendre et de transmettre, à l’ère de l’Anthropocène et de l’uniformisation mondiale.
Bandes : l’écriture textile comme mémoire vive
L’installation Bandes est emblématique de la démarche de Mélissa Sira Traoré. Fruit d’une immersion de trois mois auprès des artisanes Bamilékées, dans l’ouest du Cameroun, l’œuvre interroge la disparition progressive de savoir-faire ancestraux, menacés par la pression de l’industrialisation.
Au cœur de cette œuvre, un hommage vibrant au tissage en ligature, une technique traditionnelle qui, au-delà de sa beauté visuelle, porte un message profond. En effet, entre 1896 et 1918, le roi Njoya du peuple Bamoun avait développé un système d’écriture, A Ka U Ku, qui fut codé et transmis à travers les motifs des tissus Ndop. Ces symboles sont encore tissés aujourd’hui par certaines artisanes Bamilékées, souvent sans que leur portée historique et politique ne soit pleinement reconnue.
Bandes se compose de quatre longues pièces textiles (1 m x 4 m), réalisées en coton et raphia. Chaque bande fige une étape du tissage, rendant visible le processus autant que le résultat. Exposées verticalement, ces pièces sont accompagnées d’une installation sonore immersive, mêlant bruits de rues, chants d’oiseaux, silence et enregistrement d’une artisane au travail. Ce dispositif sonore projette le spectateur au cœur du quotidien des tisserandes, dans un va-et-vient constant entre l’agitation du monde et la quiétude du geste.



Un art engagé, entre transmission et résistance
À travers Bandes, Mélissa Sira Traoré invite le public à :
- Découvrir un savoir-faire en voie de disparition, souvent méconnu ou invisibilisé ;
- S’immerger dans un quotidien sensible, à la croisée des sons, des gestes et des textures ;
- Réfléchir au rôle de l’art comme témoin et passeur de mémoire, à une époque marquée par l’effacement culturel.
Une question à Mélissa Sira Traoré
Votre travail mêle recherche, mémoire et engagement. Comment choisissez-vous vos prochaines thématiques ou territoires d’exploration ?
Pendant les trois mois passés en immersion auprès des artisanes Bamilékées, j’ai été frappée par l’impact de l’industrialisation sur leurs vies et la disparition progressive de leur mode de vie. Cette expérience a éveillé en moi des questions plus larges autour de la crise écologique et de la marginalisation des communautés culturelles.À mon retour en France, j’ai eu le besoin de réfléchir aux dynamiques de pouvoir et aux mécanismes d’effacement historique qui entourent ces savoirs artisanaux. Depuis, je cherche à poursuivre ce travail en explorant les liens entre artisanat, écologie et mémoire. Mon objectif est de continuer à créer des œuvres qui interrogent nos manières de « lire » et de « voir » notre environnement à l’ère anthropocène, et les défis que cela pose dans un monde dominé par l’industrialisation.
Je souhaite notamment continuer à approfondir cet axe de recherche en collaboration avec un sociologue ou un anthropologue, afin de croiser les regards artistiques et scientifiques. C’est une direction que j’espère développer sur les cinq prochaines années.
À travers ses créations, Mélissa Sira Traoré déploie une approche résolument pluridisciplinaire, mêlant les arts visuels, la recherche documentaire, l’oralité et l’artisanat traditionnel. Cette démarche lui permet d’explorer en profondeur les liens complexes entre création artistique, mémoire collective et enjeux sociaux contemporains. Son travail devient alors un véritable levier de réflexion critique sur nos modèles de société, les mécanismes de transmission et d’effacement des héritages culturels, ainsi que sur la manière dont les cultures marginalisées trouvent — ou peinent à trouver — leur place dans le récit dominant de l’histoire mondiale.
En savoir plus sur Mélissa Sira Traoré :
→ Site : melissatraore.com
→ Instagram : @melissa_sira_traore
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