L’algorithme adore les choses inutiles (surtout si vous êtes artiste visuel)

L’algorithme adore les choses inutiles (surtout si vous êtes artiste visuel)

Il y a une croyance tenace dans le monde des artistes visuels : « Si je publie régulièrement mes œuvres, l’algorithme finira par m’aimer et me récompenser. »
C’est faux. L’algorithme n’aime pas vos œuvres. En réalité, l’algorithme adore… les choses inutiles.

Vous vous êtes donné du mal, vous avez passé des heures à mélanger vos pigments, à trouver la bonne lumière pour photographier votre toile, à rédiger un texte poétique pour l’accompagner… Et puis, silence radio : trois likes, un commentaire automatique en anglais douteux (« Amazing work, check my profile »), et votre tante qui ajoute un cœur par solidarité familiale.

Pendant ce temps-là, un inconnu qui a posté une vidéo d’une banane scotchée sur un mur récolte des milliers de vues. Oui, ça fait mal.

1. L’obsession de l’algorithme pour le futile

Soyons clairs : pour les plateformes, vos tableaux, vos installations et vos sculptures sont magnifiques… mais tellement exigeants ! Elles préfèrent vous nourrir de petites distractions sans conséquence.

  • Vous avez peint un triptyque explorant la condition humaine ?
    L’algorithme préfère montrer à vos abonnés une vidéo d’un chien qui sait faire du skate.
  • Vous avez publié la photo d’une fresque murale monumentale ?
    L’algorithme propose plutôt une « recette miracle » de gâteau sans farine, sans sucre, sans goût.
  • Vous espériez une discussion profonde sur l’esthétique contemporaine ?
    Dommage, l’algorithme vous met en avant… une story sur un chat qui éternue.

Car oui, l’algorithme adore les choses inutiles. Pas qu’il déteste l’art, mais disons qu’il trouve ça trop cérébral. Lui, il vit pour le court, l’absurde, le décalé.

2. Les paradoxes du quotidien d’un artiste en ligne

Tout artiste visuel a déjà vécu cette injustice numérique :

  • Œuvre majeure, travaillée trois mois : 17 likes.
  • Photo ratée de pinceau tombé dans le café : 842 likes.
  • Vidéo d’atelier montrant par erreur vos pieds : record d’engagement.

Moralité ? Vos pieds semblent avoir plus d’avenir que vos toiles.

L’algorithme adore repérer ces petites failles absurdes. Il prend plaisir à transformer vos accidents en succès viraux. Vous, vous vouliez montrer la puissance émotionnelle de votre art ; lui, il voulait juste rire parce qu’un pot de peinture s’est renversé en arrière-plan.

3. Le culte de la vitesse et du court

Les artistes le savent : l’art demande du temps, de la patience, de la profondeur. Mais l’algorithme, lui, ne comprend pas ça.

Pour lui, l’idéal, c’est une œuvre réalisée en 12 secondes chrono, en accéléré, avec une musique épique en fond sonore. Peu importe que dans la vraie vie, vous ayez mis trois semaines à obtenir ce dégradé parfait : ce qui compte, c’est la version TikTok où tout se déroule comme par magie.

Résultat : l’artiste qui poste des vidéos de « speed painting » récolte la gloire, tandis que celui qui explique sa démarche conceptuelle voit sa portée réduite à peau de chagrin.

4. Les challenges absurdes : la vraie passion de l’algorithme

Vous avez remarqué ? Dès qu’un défi ridicule circule, l’algorithme s’emballe.

  • « Dessine ton autoportrait avec ton pied gauche » → viral.
  • « Représente Mona Lisa en pâte à modeler » → viral.
  • « Peins un coucher de soleil uniquement avec du ketchup » → encore viral.

Et vous, pauvre artiste visuel, vous vous demandez si vous ne devriez pas abandonner vos pinceaux pour investir dans un stock de condiments.

5. L’inutile qui devient utile

Et pourtant… il faut reconnaître une chose : ça marche.

Regardez autour de vous : les œuvres les plus discutées de ces dernières années ne sont pas forcément celles qui demandent le plus de technique. Une banane scotchée au mur, un ballon de baudruche recouvert de résine, un NFT de pixel coloré… Ces « inutilités » sont devenues des icônes.

Pourquoi ? Parce que l’algorithme adore amplifier le décalage. Et il a compris avant tout le monde que, parfois, l’inutile touche plus de monde que l’utile.

C’est injuste, certes, mais c’est aussi une opportunité.

6. Comment jouer avec l’algorithme sans perdre votre âme

Alors, que faire ? Faut-il abandonner l’art pour publier uniquement des vidéos de votre palette tachée en forme de licorne ? Pas forcément. Mais il y a quelques stratégies :

  1. Accepter une part d’inutile
    Postez vos grandes œuvres, mais ajoutez-y des détails légers, inattendus, absurdes. Une anecdote, une photo de coulisses, un moment raté.
  2. Humaniser l’atelier
    Les gens adorent voir le chaos d’un atelier, vos pinceaux fatigués, vos murs tachés. L’inutile devient ici un outil de proximité.
  3. Créer vos propres « micro-rituels » viraux
    Plutôt que de suivre bêtement les challenges absurdes, inventez vos propres rendez-vous décalés. Exemple : « Chaque vendredi, je poste une photo de la tâche la plus étrange apparue sur ma blouse. »
  4. Savoir rire de l’absurde
    L’algorithme veut vous piéger ? Faites semblant d’entrer dans son jeu. Partagez une photo ironique de vos pinceaux en mode « séance spa » dans un pot d’eau. Montrez que vous maîtrisez l’humour, plutôt que de le subir.

7. L’art de détourner l’inutile

Finalement, l’inutile n’est pas un ennemi : c’est une matière première. Comme Duchamp l’a prouvé avec son urinoir, ou Warhol avec ses boîtes de soupe, l’art sait transformer le banal en extraordinaire.

Alors pourquoi ne pas jouer à fond la carte de l’algorithme ?

  • Prenez un détail insignifiant de votre atelier et transformez-le en série artistique.
  • Publiez volontairement des « ratés » en les présentant comme des œuvres à part entière.
  • Créez des installations digitales éphémères uniquement pensées pour les réseaux.

Bref, faites de l’algorithme votre complice plutôt que votre bourreau.

8. La morale : l’inutile, c’est peut-être l’avenir

Et si l’algorithme avait raison ? Et si l’inutile était, en réalité, ce qui touche le plus profondément ?

Un lama qui éternue, une palette qui ressemble à une licorne, un pinceau oublié dans le café… Ces petites absurdités déclenchent du rire, de l’émotion immédiate, du partage. Et l’art, après tout, n’est-il pas une question d’émotion partagée ?

Alors oui, continuez vos œuvres profondes, monumentales, exigeantes. Mais n’oubliez pas d’offrir à l’algorithme sa dose quotidienne de futilité. C’est peut-être ce mélange — sérieux et absurde — qui finira par élargir votre audience.

Parce qu’au fond, l’algorithme nous rappelle une grande vérité : la frontière entre l’utile et l’inutile est souvent beaucoup plus fine qu’on ne le croit.

Conclusion

L’algorithme adore les choses inutiles. Mais pour un artiste visuel, cela peut devenir un terrain de jeu. Ne subissez pas ses caprices : détournez-les, appropriez-vous-les, et transformez-les en art.

Et qui sait ? Peut-être que la prochaine grande tendance virale ne sera pas une banane scotchée sur un mur, mais votre propre manière de donner un sens nouveau… à l’inutile.