Artiste : un vrai métier ? Déconstruire le mythe de l’instabilité

Quand on dit « je suis artiste », les réactions sont souvent aussi imprévisibles qu’une performance de Marina Abramović. Entre admiration silencieuse, regards gênés ou commentaires bien intentionnés du type « Tu fais quoi à côté ? », les artistes contemporains, tous médiums confondus, doivent faire face à une perception sociétale floue, parfois dévalorisante, de leur statut professionnel.
Être artiste est trop souvent perçu comme un choix risqué, un passe-temps prolongé ou une vocation incompatible avec la stabilité économique. Et pourtant, la réalité est bien plus nuancée. Cet article propose de déconstruire ce mythe de l’artiste instable, pour mieux comprendre la réalité d’un métier à part entière – exigeant, structuré, essentiel.
Une perception culturelle profondément ancrée
Historiquement, la figure de l’artiste est associée à la marginalité, à la bohème, à la rébellion. Des poètes maudits aux peintres affamés dans leurs ateliers, l’imaginaire collectif a longtemps entretenu le mythe romantique de l’artiste incompris, vivant en marge de la société et du marché.
Même dans les sphères éducatives, peu de jeunes sont encouragés à « faire carrière » dans l’art : ce serait imprudent, incertain, et surtout « pas un vrai métier ». Cette représentation biaisée contribue à marginaliser les pratiques artistiques dans les parcours professionnels classiques, en niant leur valeur économique et sociale.
Instabilité réelle ou instabilité perçue ?
Il est vrai que le métier d’artiste implique une précarité structurelle : revenus irréguliers, statut social flou, absence de CDI. Mais cette instabilité n’est pas unique au secteur artistique. Beaucoup d’autres indépendants (consultants, journalistes freelance, développeurs, artisans…) vivent eux aussi une activité marquée par l’irrégularité des missions ou des ventes.
La différence majeure ? La légitimité perçue. Un consultant est vu comme un entrepreneur, un artiste souvent comme un rêveur. Or, l’artiste, lui aussi, structure son activité : il gère un planning, un budget, des clients, une production, une communication… et parfois une équipe.
Artiste = chef d’entreprise (mais sans la reconnaissance)
La plupart des artistes contemporains sont multi-compétents : ils cumulent création, diffusion, administration, gestion des stocks, logistique, communication, gestion de site web, réseaux sociaux, demandes de subvention, facturation, relations publiques, etc.
En d’autres termes, ils sont à la fois le produit, le producteur et le distributeur. Une triple casquette peu reconnue comme telle. Si un entrepreneur tech auto-financé est célébré pour sa polyvalence, un artiste auto-produit l’est beaucoup moins.
L’absence de reconnaissance officielle du métier (statut parfois flou, mutuelle complexe, revenus jugés « hors norme ») entretient l’idée que l’artiste ne travaille pas vraiment, ou du moins pas comme les autres.
Une activité artistique n’est pas incompatible avec des revenus
Tous les artistes ne sont pas millionnaires, mais tous ne vivent pas dans la précarité non plus. Beaucoup cumulent différentes sources de revenus :
- Ventes d’œuvres
- Droits d’auteur ou d’exposition
- Ateliers et interventions pédagogiques
- Projets en collaboration avec des entreprises
- Résidences rémunérées
- Subventions ou aides publiques
- Édition, design, illustrations
- Prestations artistiques ou culturelles
Certain·es ont une activité complémentaire (enseignement, commissariat, conseil) non pas par obligation mais par choix de diversification. Cette pluralité, bien que complexe, est aussi une richesse. Elle offre de la souplesse, de la liberté créative et une forme d’adaptabilité que beaucoup d’autres professions envient.
Les obstacles concrets à la reconnaissance sociale
Plusieurs freins structurent la perception de l’artiste comme métier instable :
1. Le manque de représentation dans les médias
Peu de récits montrent des artistes comme des professionnels solides. On parle surtout de ceux qui réussissent « contre toute attente », ou de ceux qui échouent… en oubliant la vaste majorité des artistes qui construisent une carrière stable, cohérente et continue.
2. La fragilité du statut juridique
En France, les artistes auteurs peuvent être affiliés à l’Urssaf Limousin, mais le système reste peu lisible. Résultat : beaucoup d’artistes n’osent pas se revendiquer comme professionnels à cause d’un cadre administratif flou.
3. L’absence de formation à l’après-école
Les écoles d’art forment à la création, mais très peu à l’insertion professionnelle, à la gestion ou à la diffusion. Résultat : les jeunes artistes sortent souvent brillants mais peu préparés au « marché de l’art », ce qui renforce le sentiment d’instabilité.
Un rôle pourtant essentiel dans la société
L’artiste pose des questions, provoque des débats, produit du sens dans un monde saturé d’images et de discours. Son rôle ne se limite pas à la décoration ou à la provocation : il est aussi un observateur actif de notre époque, un traducteur du sensible, un créateur de lien.
Dans un contexte de crises (écologique, sociale, politique), les artistes sont souvent en première ligne pour proposer de nouveaux récits, de nouvelles manières de voir et de penser. Leur instabilité est aussi une agilité. Leur précarité, une résistance. Leur marginalité, une vision.
Changer les mentalités : un enjeu collectif
Pour que la perception du métier d’artiste évolue, plusieurs leviers sont nécessaires :
- Renforcer la formation à l’entrepreneuriat culturel dans les écoles d’art.
- Simplifier les statuts administratifs et fiscaux des artistes auteurs.
- Promouvoir des récits positifs et réalistes dans les médias et l’éducation.
- Soutenir les structures intermédiaires (galeries, résidences, plateformes, tiers-lieux) qui permettent aux artistes d’avoir des relais professionnels.
- Impliquer les acheteurs et collectionneurs dans une vision durable et respectueuse du travail artistique.
Conclusion : l’artiste n’est pas instable, il est adaptable
Le mythe de l’artiste instable ne résiste pas à l’analyse. Derrière cette idée reçue se cache un professionnel engagé, capable d’innovation, de résilience, de polyvalence. Le reconnaître comme tel, c’est non seulement lui rendre justice, mais aussi valoriser une profession essentielle à l’équilibre culturel et social de nos sociétés.
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